"Le temps d’une bougie" est un projet de théâtre de jeunesse et marionnette, basé sur la pièce "Dans ma maison de papier, j'ai des poèmes sur le feu" de Philippe Dorin. Ce projet est né d'une rencontre avec l'auteur il y a 2 ans, et j’ai tout de suite adhéré à sa vision d’enfance : “Tous les enfants sont à l’intérieur d’une vieille personne, mais ils ne le savent pas encore”. Le titre intriguant de la pièce et le dédoublement des personnages par le temps, la Petite Fille et la Vieille Dame, me poussent à interroger l’Enfance dans notre société : les enfants d’aujourd’hui sont-ils poussés à grandir trop vite ? Je souhaite faire traverser aux élèves le processus d'une création artistique, à partir d'un rien apparent jusqu’à la naissance d'une chose palpable. C'est comme quand on est devant une page blanche. Puis une note apparaît, des phrases, et peut-être un haïku. Ici, les matières de la déformation seront le papier kraft et le papier hanji.
¤ Le point de départ ¤
La rencontre avec l’auteur Philippe Dorin se fut au mois de mars 2016, quand j’étais encore étudiante à l’Ecole supérieure de théâtre de Bordeaux Aquitaine. Il était venu lire sa dernière pièce qui allait se jouer au Théâtre des Quatre Saisons de Gradignan. Les extraits de texte soigneusement écrits à la main sur des papiers translucides, je me rappelle qu’il nous a tous invité sur le plateau, à trinquer avec la coupe fabriquée avec ces papiers là.
“Dans ma maison de papier, j’ai des poèmes sur le feu” était écrite lors de sa résidence d’un mois, dans une classe de CM2 à Paris. Il me paraît important ainsi qu’une partie de la création du spectacle soit faite au sein de la vie scolaire.
LE TEMPS D’UNE BOUGIE
C’est un événement qui me rappelle l’innocence et le plaisir de jouer avec le feu. Je me souviens une fois, après la pluie, comme s’ils s’étaient mit tous d’accord, des escargots sortaient de je ne sais où pour aller quelque part. Certainement la cruauté qui a dû me pousser à prendre des bougies et leur coller sur le dos. Déjà que les escargots ne sont pas de grands marcheurs, avec le poids de la bougie et leur peau visqueuse étalée, ça se voyait, leur marche était encore alourdie. Bien évidemment la bougie était allumée. Je savais que je leur imposait une course contre le temps. La fonte de la bougie diminuait le poid qu’ils avaient sur leur dos en attendant de les faire fondre eux aussi. Une mort chronométrée.
Je dois vous avouer que le feu est un élément fascinant, cachant souvent son pouvoir dévastateur, comme la plus belle créature peut s’avérer être la plus mortelle. L'innocence de mon acte d’enfant résonne ainsi dans ce texte quand le Promeneur vient annoncer la mort et face à cela, l’étonnement de la Petite Fille, devenue alors la Vieille Dame, en apprenant qu’il est déjà temps d’y aller. Aller où? Quelque part.
LE PROMENEUR : J’ai vu de la lumière, alors je suis venu.
LA VIEILLE DAME : Qu’est-ce que tu veux?
LE PROMENEUR : Tu vas mourir!
LA VIEILLE DAME : Quand?
LE PROMENEUR : Quand je le dirai!
LA VIEILLE DAME : Tu vas le dire quand?
LE PROMENEUR : Maintenant!
LA VIEILLE DAME : Tu veux pas attendre un petit peu?
LE PROMENEUR : L’heure, c’est l’heure!
LA VIEILLE DAME : Il y a deux minutes, je n’étais encore qu’une petite fille.
LA CATASTROPHE NATURELLE ET LES CONTES SOUS UN REGARD ALERTANT
La Petite fille aux allumettes est un conte écrit par Hans Christian Andersen qui raconte l’histoire d’une petite marchande d’allumettes. L’histoire se déroule un soir de Nouvel An, un soir de froid glacial. Sans trouver aucun acheteur, la petite fille se blottit dans une encoignure entre deux maisons. Pour se réchauffer, elle craque une allumette, puis deux, trois… jusqu’à qu’elle rejoigne sa grand-mère morte récemment. De même que le conte d’Andersen, dans un conte folklorique coréen, la catastrophe naturelle déclenche le choix tragique : lors d’une grande famine, il était de coutume pour les enfants d’emmener leur seniors à la montagne afin de réduire les bouches à nourrir. Ainsi un fils, pourtant réputé pour être un bon garçon, emmena sa mère au sommet de la montagne avec de quoi se nourrir pour le restant des jours. La laissant derrière lui, il avait dû mal à redescendre et s’égara en chemin. En errant dans la forêt, il vit une branche cassée, puis une autre plus loin jusqu’à qu’il retrouve sa maison. Une fois de retour, il rendit compte que c’était sa mère qui avait cassé les branches pour indiquer le chemin. Regrettant amèrement, il retourna sur le champ chercher sa mère. Le roi qui entendit cette triste histoire leur alloua de la nourriture et ils vécurent heureux.
LA PETITE FILLE : Dis, tu la connais, toi, l’histoire de la petite fille aux alouettes?
LE PROMENEUR : Aux allumettes! L’histoire de la petite fille aux allumettes!
LA PETITE FILLE : Oui! Tu la connais?
LE PROMENEUR : Bien sûr! Pourquoi?
LA PETITE FILLE :Ca t’y fait pas penser, toi, des fois?
LE PROMENEUR : Non, pas du tout!
LA PETITE FILLE : Ah bon!
LE PROMENEUR : Eteins!
¤ Projet et note d’intention ¤
MA MAISON DE PAPIER
Cette pièce est une “peinture de la vanité” : un crâne, une fleur ou un être, une bougie - éteinte ou allumée - ou un rayon du soleil , des livres, des papiers... nous mettant en garde contre le temps qui file, peut-être trop vite. Face à une société qui pousse les enfants à grandir trop vite, le temp est indéniablement précieux. Toutefois nous ne tirons pas une conclusion philosophique et symbolique trop hâtive.
La légèreté et l’innocence de cette pièce me plaisent justement et je voudrais garder pour cela la liberté de dessiner et de découper le plateau pour créer “ma maison de papier”. Cela donne de quoi imaginer un espace scénique avec une manipulation du rouleau de papier kraft et du hanji, papier coréen traditionnel, en direct. De là, une marionnette naîtra par le découpage du papier.
Des poèmes sur le feu
Avant tout, c’est par le désir - le feu - de partager cette pièce que la comédienne monte sur scène. Elle a dans sa main le livre - des poèmes. L’objet du livre est aussi très présent dans la création. Comme il est écrit dans le titre, elle construit à vue “sa maison de papier” puis elle crée son partenaire de jeu - la Vieille Dame - avec le papier. Elle ouvre le livre et lit à voix haute les premières didascalies. La pièce peut commencer.
Théâtre de marionnette
La pièce est écrite pour trois personnages : une Petite Fille, une Vieille Dame et un Promeneur. Dans ce projet, il y a deux comédiens car en vérité, le personnage de la Petite Fille devient le personnage de la Vieille Dame. La présence de la marionnette permet un dédoublement du personnage de la petite fille qui devient littéralement, deux minutes plus tard, la vieille dame. Ainsi je jouerai la Petite Fille et serai marionnettiste de la Vieille Dame.
Espace : le papier kraft et le hanji, le papier coréen traditionnel
De même que pour l’auteur, j’accorde une place importante à ce matériau, le papier. Car le papier nous accompagne tout au long de notre vie; de la naissance jusqu’à la mort.
Lors de la visite d’une fabrique de papier hanji à Andong en Corée, j’ai été fascinée par le processus de métamorphose de l’écorce d’arbre transformé en hanji. Il est dit que le hanji dure 1000 ans, tandis que la soie, 500 ans. Autrefois, le hanji avait une place considérable dans le quotidien : les portes et les fenêtres étaient recouvertes de papier, ainsi que le sol de la maison. La transformation est de même pour la marionnette qui naîtra au fur et à mesure jusqu'à en devenir une marionnette avec des traits réalistes.
Des poèmes sur le fil à linge
Dans ce titre intrigant, “Dans ma maison de papier, j’ai des poèmes sur le feu”, qui pourrait évoquer une catastrophe, l’incendie des poèmes, il y a une étincelle d’espoir. En considérant le feu comme une source de chaleur, l’image des poèmes sur le feu m’évoque le séchage naturel des poèmes au soleil après une grosse averse.
Les percussions
La frappe des instruments de percussion a ce pouvoir d’évocation mystique et de magie, de part leur présence dans chaque musique traditionnelle du monde entier. Par ailleurs ce n’est pas un hasard de trouver ces instruments percussifs lors de rites funéraires de par le monde : Gong Angklung à Singaradja et à Ubud en Indonésie; Kelengtangan, l’orchestre accompagnant les cérémonies funéraires de Bangli; Sangryeo sori de Jindo en Corée, mais aussi Balafon au Sénégal.
La dimension gestuelle et chorégraphique du jeu du percussionniste accompagnent la narration en rythme pour en devenir son moteur. Tantôt lisse, intime, impressionniste, aérien; tantôt strict, rythmique, agité, obstiné, enragé, le musicien développe une large palette sonore à l’aide de ses tambours et métaux, qui vont appuyer et guider la narration dans son développement.
Par le(s) artiste(s)