Première vue d'ensemble de l'atelier

4 - L'approche de la terre

Publié par Sarah Penanhoat

Journal du projet

Février 2020. Deuxième session, on est dans le vif du sujet : entailler, modeler, taper.

La voiture familiale, sans laquelle je ne pourrais aller jusqu’à Signy, est devenue, telle une friterie ou un food-truck, une céramique-truck, un atelier de céramique ambulant. Ce sont des considérations qui me taraudent, que je garde dans un coin de ma tête, moi qui suis contre les voitures individuelles.

Arrivée le lundi avec des dizaines de kilos de terre, le matériel de sculpture, les planches en bois, les engobes en poudre, les ébauchoirs, éponges, estèques, et tout le petit matériel nécessaire.

En premier, je prépare l’atelier. Je décharge la voiture et installe tout qui va prendre place une semaine dans le préau. C’est une grande salle chauffée, haute de plafond, peinte de couleurs chaleureuses. C’est donc là que les affaires, le matériel et les productions des enfants sont stockées, et qu’on va travailler.

Malgré toute l’anticipation possible, la place et la bonne volonté de chacun des acteurs, il y a quelques inconvénients à ne pas avoir un atelier spécifique, chose qu’on peut oublier trop facilement : pas de point d’eau ou d’étagères. Heureusement, rien de trop contraignant : avec les 100 mètres carrés mis à notre disposition, on s’étale allègrement, et on ira chercher de l’eau aux toilettes d’en bas. De la même manière que la dernière fois, les tables sont mises de manière à avoir de larges plans de travail.

Après les banques d’images un peu trop fournies, j’ai fait des mémos avec un rappel des bases en céramique, où l’on voit propriétés, définitions, techniques, le tout plastifié pour qu’ils puissent y revenir si quelque chose leur manque.

Ceux qui ont lu en entier m’ont dit que c’était un peu long. Les mémos plastifiés, ce n’est pas encore de leur âge, d’autant plus qu’ils avaient oublié la moitié de ce qu’on avait pratiqué la dernière fois.

Je leur montre aussi ce que c'est que l'engobe, comment on la prépare, à quoi elle sert, comment peindre avec.

Par contre, petite frayeur, certains me redemandent s’ils peuvent faire une licorne, un cendrier, ou une tasse avec des yeux et une bouche, à offrir à leur parents. Là, je me demande si j’ai été assez claire, et s’ils ont bien compris le projet, les enjeux, le début et la fin. Mais, ça dépend : qui se rappelle des banquets, des techniques, et de ce qu’on fera lors de la restitution.

La semaine passe à toute vitesse, où à tour de rôle, un tiers de la classe vient ; chaque enfant passe en moyenne cinq heures à travailler la terre. En fonction de leur projet, certains restent plus longtemps, jusqu’à avoir fini leur idée. Etant donné que dans la technique, on repart presque du début avec chacun, j’ai un accompagnement individuel et unique pour chaque enfant : ce n’est pas la même façon de faire pour sculpter et modeler une poire, une cruche haute faite en colombins, ou un pot de pop-corn à la plaque.

Quand il le peuvent, je vois un peu d’entraide, mais c’est difficile pour eux de se donner des conseils quand ils n’utilisent pas les même techniques précédemment cités.

Cette semaine, on est immergé dans le faire, avec comme impératif, le temps. On a quatre jours pour que toutes leurs pièces imaginées le mois précédent soient finies et prêtes à cuire. Non seulement, car c’est le temps que j’ai défini pour cette partie du projet, et que tout sera envoyé au four vendredi, mais une fois que la terre à atteint un certain niveau de sécheresse, on ne peut plus y toucher : retrait ou ajout de matière deviennent impossible.

Par rapport à mes constatations du mois passé, ça se concrétise. Celles et ceux qui ne me sollicitaient pas trop, ou qui avaient fait des dessins précis, détaillés, fournis, restent indépendants : ils visualisent leur forme, fraise, oeuf, tasse... je leur donne la technique, et ielles continuent jusqu’à ce que ça leur paraisse réaliste ou fini, et là, on me rappelle.

Il y a environ trois types : ceux-là, avançant tranquillement jusqu’au prochain palier, ceux qui ne me sollicitent pas vraiment, mais qui paradoxalement ne comprennent pas vraiment comment faire ou comment ça marche, et qui font quelque chose qui ne va pas tenir, en essayent quand même.

Enfin, certains qui sont tout le temps à demander de l’attention, des conseils, qui finalement attendent et espèrent te voir faire pour eux, car n’y arrivent pas, et prennent beaucoup de temps.

Dans le « deuxième » groupe, j’ai cru à de la mauvaise volonté, ou du désintérêt, mais c’est plus par timidité ou du « laisser tomber », car quand je passe du temps avec eux, en étant simplement présente, leur travail et leur implication s’améliorait. Ils comprennent vite ; la théorie parait simple, et puis... et puis, il se rendent compte qu’il faut prendre le coup de main : il leur faut prendre des rythmes, des habitudes.

Ainsi, le vendredi matin, force est de constater que certains sont « étonnamment ravis» de leur pièce, à la limite de l’incrédulité. Si les formes sont assymétriques, avec leurs défauts et leurs imperfections, elle sont au moins finies, avec le mérite d’être sculpturales, souvent protéiformes, et toujours reconnaissables.

Ainsi, quasiment tout le monde a une sculpture (quand ce n’est pas plusieurs) que ce soit un objet « utile » ou une représentation purement formelle. Alors que pour deux ou trois enfants, je pensais que ce serait impossible, par manque de temps, d’idée ou de motivation. Un peu de persuasion, motivation, et finalement, ils y arrivent.

Par contre, pour trois élèves, vus la première semaine en janvier, mais absents toute la semaine ou arrivés le dernier jour, nous n’avons rien pu faire.

Enfin, c’est un défi davantage personnel qui m’attend.

Pour cette étape, je dois emmener la quarantaine de pièces jusqu’au four, qui se trouve à Liart (Ardennes, Grand Est), à environ une demi heure de voiture de Signy-le-Petit, chez une artisane céramiste de la région.

Car il fait bon et sec dans le préau, et certaines pièces, achevées dès le mardi soir, sont déjà presque sèches. En céramique, il y a une texture qu’on appelle cuir, quand c’est encore presque humide, et qui garde encore les propriétés plastiques et élastiques de la terre molle, mais lorsque c’est sec, le risque de casse est grand. Quand la terre n’a plus du tout d’eau, avant cuisson, le moindre choc peut être fatal.
Alors, je m’inquiète pour le homard, très friable avec ses antennes et ses nombreuses pattes, ou pour le feuillage d’un ananas, assez fin. Et si les routes des Ardennes sont certes peu fréquentées, elles sont plutôt étroites, vallonnées, et pas si bien entretenues, un discours partagé par nombre de personnes que je rencontre. 

Finalement, en déballant les pièces une fois arrivée au four, toutes ont survécu.

Celles qui étaient encore cuir, ou avec moins de protubérances, pas trop de risques : les élèves ont fait des pièces bien bien bien costaud, avec une épaisseur conséquente.

Leurs oeuvres vont attendre encore deux ou trois semaines de séchage avant d’être enfournées, alors, je repars de suite vers Lille, en espérant qu’une fois sèches, rien ne se casse en séchant trop vite ou n’éclate au four. Il suffit que l’un d’entre eux ait fait une grosse bulle d’air emprisonnée dans la matière.

Réponse dans trois semaines !

Vendredi, ménage et rangement en groupe